De la Guerre, à l’Art
De la Guerre à l’Art
2019
performance & film
32 min
Tout au long de ses treize chapitres, L’Art de la guerre, traité millénaire de Sun Tzu, expose comment, même les mains liées, un général peut remporter la bataille. La gaine de l’épée, l’étude de la physionomie de l’adversaire, l’appropriation du terrain, l’attaque par le feu : autant de stratégies devenues principes universels de tactique et de survie. Ces treize chapitres, qui ont façonné la pensée militaire chinoise, se transforment ici en treize mouvements performatifs retraçant la métamorphose d’un corps devenu militant.
S’intéressant aux schémas de transformation et d’affirmation des corps minoritaires dans leur quête d’accès aux lieux de culture élitistes, cette danse a trouvé refuge à la Chapelle des Petits-Augustins des Beaux-Arts de Paris. Quels chemins un corps doit-il emprunter pour se reconfigurer et exister dans un espace où il ne se reconnaît pas? Quels sont les enjeux d’une telle mise à nu — celle des traumas, des failles, de l’épuisement corporel?
Entre techniques de préparation du corps et de l’esprit — yoga, tai-chi, arts martiaux, musculation —, tout se fond en une chorégraphie de résistance : une danse haletante où la fatigue devient révélation, et où le corps, traversé par la transe, s’abandonne à une transformation totale, presque synesthésique.
Grâce au soutien de l'Espace 29, Centre d'Art Contemporain Bordelais, cette performance a été transformée en film de danse, acquis par la Collection Départamentale de la Seine Saint-Denis en 2023.
écrits :
Je me réveille dans la chapelle, je suis allongé au sol.
Mon corps contre la pierre froide de ce lieu tombeau.
Yannick est à mes côtés, nous nous réveillons au même moment suite à une séance de Feldekrais au tour de la cheville droite. Nous partageons le sentiment de ne pas savoir où nous sommes. Ce sentiment de perte de connaissance du moment et du lieu où nous nous trouvons nous effraie. Comment je ferai pour entrer dans ce lieu nouveau lieu où je n’ai jamais dansé? Comment je réveillerai mon corps, un corps qui devra traverser une nouvelle bataille dans un nouvel endroit ?
C’est comme entrer dans un dojo à froid. Corps et sol froid.
Un décor qui tourne, la vie centrifuge. Une vie qui traverse l’histoire de l’humanité.
Le conquistador et son cheval regardent mon corps allongé. L’image de dominance de cette énorme figure face à mon corps déjà épuisé et blessé m’intéresse. Je transforme en sacre cette pierre froide, elle est scène d’un théatre Noh lorsque je me chausse. L’esprit des gisants dormant rentrent dans mon corps.
Je tourne, et ce cheval devient une image chronophotographique sous mes paupières. Son corps traverse le mien. Il est bien plus grand que moi, mon corps très massif devient très petit.
L’impuissance.
Je flotte.
C’est mon jugement dernier, et celui de Michel-Ange dessine le décor en arrière-plan de mon corps. Ma partition traverse, de 1 à 13, l’histoire de la guerre. L’histoire des civilisations, de la société Chinoise. Un mode d’emploi de la conquête des territoires.
13 chapitres. 13 mouvements. 13. Mon corps, comme l’eau, s’adapte au terrain. Un corps étranger venu d’ailleurs, qui a traversé la mer, qui s’est envolé ici. Ce corps s’adapte. Le corps s’adapte.
Le vent est coupé par le bâton. Ce désaxement est extrêmement violent pour mon corps. Je fais peur, mais surtout à moi-même. Je suis mon propre soldat, et mon propre ennemi.
Il m’est presque impossible de d’écrire les émotions ressenties lorsque je bouge. Je suis pris par ce fou mouvement avec mes tours. 5 minutes, 10 minutes, 15 minutes, 20 minutes. Cela fait combien de temps que je
tourne ?
Cela fait combien de temps que je tourne en rond ?
Est-ce que quelque chose a changé depuis que j’ai commencé à tourner ? Est-ce que je tourne en rond pour rien ? Est-ce que je vais pour toujours tourner en rond ?
La musique d’Hector me porte, les oiseaux me rappellent chez moi. Mais le bruit des oiseaux dans la forêt est un signe de danger imminent. Ils activent ma mémoire, je pense à ma ville natale.
Danger imminent.
Je souris, mais j’ai constamment peur.
Est-ce que je vais me blesser en faisant ce que je fais ? Est-ce que je blesserai quelqu’un ?
Je perds mon axe.
Je saute
Je finis avec vous. En vous. Dans vos yeux. Dans votre regard. Est-il voyeur celui qui regarde ? As-tu peur du corps que tu regardes ? Je sues, j’ai peur, je ne sais pas ce que je fais. Notre existence est indivisé.
Je suis le même que t o i .
Je dois faire confiance à ce qui fait mon corps.